En ce jour de rentrée scolaire, voici un beau texte tiré d’un conte plein d’humour et de poésie… Il nous rappelle que les élans des enfants ne correspondent pas toujours à leurs talents, tandis que les aspirations des parents pour leur progéniture sont parfois contrariées par les capacités réelles du jeune.
Le texte
« Jusqu’à l’âge de huit ans, Tistou ignora l’école. Madame Mère, en effet, avait préféré commencer elle-même l’instruction de son fils et lui enseigner les rudiments de la lecture, de l’écriture et du calcul. Les résultats, il faut en convenir, n’étaient pas mauvais. Grâce à de très jolies images, achetées spécialement, la lettre A s’était installée dans la tête de Tistou sous l’apparence d’un âne, puis d’une Alouette, puis d’un Aigle ; la lettre B sous la forme d’une Bille, d’une Boule, d’un Ballon… Pour le calcul, on se servait d’hirondelles posées sur des fils électriques. Tistou avait appris non seulement à additionner ou à soustraire, mais il parvenait même à diviser, par exemple, sept hirondelles par deux fils… Ce qui produit trois hirondelles et demie par fil. Comment une demi-hirondelle pourrait-elle se tenir sur un fil électrique, cela c’est une autre affaire que tous les calculs du monde n’ont jamais pu expliquer !
Lorsque Tistou atteignit son huitième anniversaire, Madame Mère considéra que sa tâche était terminée et qu’il fallait confier Tistou à un véritable professeur.
On acheta donc à Tistou un très joli tablier à carreaux, des bottines neuves qui lui serraient les pieds, un cartable, un plumier noir décoré de personnages japonais, un cahier à grandes lignes, un cahier à petites lignes, et on le fit conduire par le valet Carolus à l’école de Mirepoil qui avait très bonne réputation.
Tout le monde s’attendait à ce que ce petit garçon si bien vêtu, qui avait des parents si beaux et si riches, et qui savait déjà diviser les hirondelles par moitiés et par quarts, tout le monde s’attendait à ce que ce petit garçon-là fît des merveilles en classe.
Hélas, hélas ! L’école eut sur Tistou un effet imprévisible et désastreux.
Lorsque s’ouvrait le lent défilé des lettres qui marchent au pas sur le tableau noir, lorsque commençait à se dérouler la longue chaîne des trois-fois-trois, des cinq-fois-cinq, des sept-fois-sept, Tistou éprouvait un picotement dans l’œil gauche et tombait bientôt profondément endormi.
Il n’était pourtant ni sot ni paresseux ni fatigué non plus. Il était plein de bonne volonté. “Je ne veux pas dormir, je ne veux pas dormir ”, se disait Tistou. Il vissait les yeux au tableau, collait ses oreilles à la voix du maître. Mais il sentait venir le petit picotement. Il essayait de lutter par tous les moyens contre le sommeil. Il se chantait tout bas une très jolie chanson de son invention : “Un quart d’hirondelle / Est-ce que c’est la patte / Ou est-ce que c’est l’aile ? / Si c’était de la tarte, / Je la couperais en quatre !”
Rien à faire. La voix du maître se changeait en berceuse, il faisait nuit sur le tableau noir, le plafond chuchotait à Tistou : “Pstt, pstt, par ici les beaux rêves !” et la classe de Mirepoil devenait la classe aux songes.
– Tistou ! criait brusquement le maître.
– Je ne l’ai pas fait exprès, Monsieur, répondait Tistou, réveillé en sursaut.
– Cela m’est égal. Répétez-moi ce que je viens de dire !
– Les tartes… Divisées par deux hirondelles…
– Zéro !
Le premier jour d’école, Tistou rentra chez lui les poches pleines de zéros. Le second jour, il reçut en punition deux heures de retenue, c’est-à-dire qu’il resta deux heures de plus à dormir dans la classe. Au soir du troisième jour, le maître remit à Tistou une lettre pour son père. Dans cette lettre, Monsieur Père eut la douleur de lire ces mots : “Monsieur, votre enfant n’est pas comme tout le monde. Il nous est impossible de le garder.” L’école renvoyait Tistou à ses parents. »
Tistou les pouces verts de Maurice DRUON (Éditions DEL DUCA, 1957, repris aux éditions Le Livre de Poche – Jeunesse, 2007)
Les questions pour les parents
- Ai-je déjà raconté mon pire souvenir et mon meilleur souvenir d’école à mon enfant ?
- Quel est le principal talent que je reconnais à mon enfant ? Que fait-il avec plus de facilité que d’autres et/ou avec un plaisir évident ?
- Malgré les contraintes du quotidien (activités multiples, horaires serrés etc.), quels sont les moments et/ou les lieux où ce talent peut s’exprimer ?
- Qu’est-ce que je souhaite réellement à mon enfant pour ses années de scolarité ?
Les questions pour les enfants
- Quelle est la chose que j’aime le moins à l’école ?
(Donner un exemple précis et concret.)
- Qu’est-ce que j’aime bien à l’école ?
(Donner un, deux, trois exemples précis et concrets.)
- Quelles sont les trois choses que je fais avec plus de facilité que mes copains ?
(Donner trois verbes d’action.)
- À quel moment ai-je récemment eu l’impression que mes parents me mettaient la pression ?
Ai-je pensé à leur demander ce qui leur semble important dans cette tâche à accomplir / cette parole à prononcer ?