Le texte suivant est issu de la contribution de Claire LHUISSIER intitulée Introduction à l’approche narrative, présentée au premier “colloque des délinquants” (groupe de recherche d’élèves-enseignants en PNL, sous la direction de Bernard BAREL), les 18 et 19 juillet 2015, à Paris.
On pourrait résumer la pratique narrative en disant qu’il s’agit de créer une « histoire préférée » qui doit finir par l’emporter sur l’« histoire dominante ».
En effet, les histoires qui parlent d’une personne sont autant issues de sa geste familiale que de sa propre expérience. Certaines l’aident à croître et se développer, d’autres l’enferment dans des scénarios limitants. En narrative, on vise à produire un nouveau récit de vie qui permette de dépasser la souffrance générée par des circonstances difficiles. On lui offre l’opportunité de choisir et de construire une histoire plus cohérente avec ses valeurs et ses aspirations. On parle alors de « déconstruire une histoire dominante limitante », pour élaborer ou étoffer une « histoire préférée » ou « alternative ». En « tissant » (ou « épaississant ») cette histoire alternative, on traite l’histoire négative comme un phénomène externe dont l’influence néfaste va progressivement se « dissoudre » dans de plus en plus de positif.
Plus précisément, d’un point de vue didactique, on peut résumer cela sous la forme de deux processus.
1. Épaissir une identité narrative: le premier consiste à aller chercher dans la vie de la personne tout ce qui vaut le coup pour elle. Cela revient à déceler les « traces fines » (ou « exceptions »), c’est-à-dire des éléments négligés dans une histoire de vie. Pour expliciter cette idée, on peut utiliser la métaphore des vingt étoiles connues par un amateur d’astronomie, alors qu’il y en a en réalité 2000 visibles en été (6000 sur l’ensemble de la planète). L’enjeu est de refaire une sélection, un tri, en partant de ce qui est positif pour l’épaissir.
Parfois, cela prend un peu de temps. Il faut alors faire appel à « l’obstination de l’orpailleur » : au bout de nombreuses questions (et non pas de nombreuses séances), le praticien narratif trouve une petite paillette ; au bout d’un certain temps, il finit ainsi par cumuler un petit tas de paillettes.
2. Externaliser le problème: le second consiste à partir du problème quand la personne n’arrive pas à trouver d’exceptions. Cela revient à aider le sujet à se distinguer du problème : l’enjeu est de passer d’un trouble identitaire dans un monde de « survie-guerre » à une relation avec un problème depuis un monde de « vie-coopération », depuis l’extérieur du problème – ce qui me permet de voir les exceptions. Même s’il se vit dans le problème (c’est-à-dire qu’il ne voit que le problème), il est seulement en relation avec un problème. Pour expliciter cet idée, prenons l’exemple d’un homme se vivant comme « un fainéant » (à ses yeux, c’est son identité) au lieu de « sentir de la fainéantise » ; quand celui-ci aperçoit des pistes de solutions, cela ne peut aller plus loin car il est de toute façon « un fainéant » : il se vit comme « un fainéant » dans le « monde de la fainéantise » : pour lui, il est à l’intérieur du « monde de la fainéantise » et non en relation avec. Aider cet homme à se mettre à l’extérieur du « monde de la fainéantise » lui permettra de percevoir différemment le « monde pathologique » – qui ne sera plus identitaire. Ce mode favorise l’émergence de l’exception même quand on n’arrive pas à trouver d’exception au début.
Avec la pratique narrative, on vise donc à sortir le problème de la vie de la personne, mais aussi à sortir la personne du monde du problème. Il s’agit d’un mouvement « d’externalisation » (« la personne est la personne ; le problème est le problème ; la personne n’est pas le problème »). Le changement consiste à passer du monde de la survie à celui de la vie : c’est à ce moment-là qu’on est libre de choisir et de modifier sa vie.
Ce qui se passe au niveau du client, c’est une réassociation. En effet, les gens qui sont dans la pathologie sont souvent dissociés, c’est-à-dire qu’ils ont du mal à faire fonctionner ensemble leur tête et leur corps : leur action est inhibée et ne correspond pas à leur intention. Par exemple, dans le cas d’une addiction comme l’alcoolisme, la personne tente de redescendre dans son corps par les sensations qu’elle se procure. Au contraire, une exception est un moment où je me sens vivant : je crois que ce que je veux faire, je peux le réaliser par mon action. Ainsi, plus je raconte une version satisfaisante d’un événement, plus je cultive une cohérence entre ce qui m’anime et ce que je peux réaliser, entre mes critères et l’expérience vécue – en alimentant mon estime de moi.
Pour relier son histoire préférée à sa réalité sociale, le client est parfois assisté de « témoins », issus de l’environnement immédiat favorable de la personne et guidés pour apporter leur contribution au nouveau récit de vie du client. L’idée de Michaël WHITE est de contrer la solitude, l’isolement des personnes en redonnant de l’importance aux relations.