Les origines de l’approche narrative

Le texte suivant est issu de la contribution de Claire LHUISSIER intitulée Introduction à l’approche narrative, présentée au premier “colloque des délinquants” (groupe de recherche d’élèves-enseignants en PNL, sous la direction de Bernard BAREL), les 18 et 19 juillet 2015, à Paris.

 

L’approche narrative est incarnée par Michaël WHITE, psychothérapeute australien né en 1948 à Adélaïde (Australie). Il s’est formé à l’école de Palo Alto (USA). Après avoir travaillé comme assistant social, il a pratiqué la thérapie familiale. Pour la petite histoire, il faut savoir qu’il avait créé des associations avec des psychotiques et que ça marchait bien ; cela faisait beaucoup de bruit et dérangeait certaines personnalités bien pensantes ; on l’a donc « sanctionné » en le mutant dans l’unité des adolescents anchoprésiques, c’est-à-dire victimes d’une forme d’incontinence fécale ; paradoxalement, il a obtenu de tels résultats que cela l’a rendu célèbre !

De sa pratique a émergé l’approche narrative. Il a nourri sa réflexion des courants non-structuraliste [1] et constructionniste [2]. Il s’est également dit influencé par les travaux de Grégory BATESON (à travers l’idée que la relation au centre du processus… Cf. les cinq doigts de la main versus les quatre espaces interdigitaux), de Michel FOUCAULT (à travers l’idée que le pouvoir moderne réside dans le fait de se surveiller soi-même pour savoir si on est dans la norme), et aussi de Pierre BOURDIEU (à travers l’idée de reproduction sociale), Jérôme BRUNER (à travers le concept d’« identité narrative », c’est-à-dire l’idée que ce qui donne le sens à notre vie est la façon dont on la raconte en faisant du lien entre certaines de nos actions), Gilles DELEUZE [3], Jacques DERRIDA [4], Barbara MYERHOFF [5], Lev VYGOTSKI [6] etc.

Il a écrit plusieurs articles et six ouvrages en anglais. Il a également animé de nombreux ateliers de conseil et de thérapie de groupe à travers le monde, mais surtout des formations à l’approche narrative – sur le mode intensif. Il a cofondé et mené jusqu’en 2007 l’institut-phare de la discipline, le Dulwich center of Narrative practice basé à Adélaïde, en Australie (repris par Cheryl WHITE et David DENBOROUGH). Il est décédé en avril 2008 à San Diego (USA).

En France, l’approche narrative est apparue en 2004 dans les pratiques de certains coachs et certains thérapeutes. C’est aujourd’hui La Fabrique narrative du coach Pierre BLANC-SAHNOUN qui fait référence.

En termes de documentation sur l’approche narrative, il existe peu d’ouvrages théoriques. Hormis les ouvrages de Michaël WHITE et de David EPSTON, les bibliographies narratives sont surtout remplies de compte-rendu d’entretiens, souvent commentés. Certains praticiens revendiquent d’ailleurs cette faiblesse documentaire comme l’avatar d’une discipline qui se veut encore en gestation et extrêmement plurielle dans ses applications. La plupart des ouvrages sont en outre rédigés en anglais. C’est pour répondre à cette faiblesse documentaire que Pierre BLANC-SAHNOUN et Béatrice DAMERON ont collecté des contributions variées dans Comprendre et pratiquer l’approche narrative [7].


[1] La pensée non-structuraliste invite à s’affranchir des normes et des idées concernant ce à quoi la vie des gens doit ressembler pour être saine. Ce sont des produits de notre histoire et de notre culture, qui sont créés dans le temps et assujettis à des contextes particuliers. Elle postule au contraire que ce que l’on cherche, ce que l’on croit et d’où l’on vient façonnent ce à quoi l’on ressemble et que l’on trouvera. Le langage et l’usage qu’on en fait jouent un rôle vital dans ce façonnage de la vie : ce que les gens disent et font, et la manière dont ils se relient façonnent la vie. Le sens que nous donnons aux événements de notre vie et la manière dont nous les organisons en histoires à propos de nous-mêmes et des autres met en forme notre vie.

[2] La pensée constructionniste (ou « constructiviste ») cultive une approche centrée sur les processus dynamiques et évolutifs, qui s’auto-organisent.

[3] Philosophe français, Gilles DELEUZE (1925-1995) s’intéresse tout particulièrement aux rapports entre les notions d’événement, de sens et de non-sens.

[4] Philosophe français, Jacques DERRIDA (1930-2004) a développé la notion de déconstruction.

[5] Anthropologue et cinéaste américaine, Barbara MYERHOFF (1936-1985) a travaillé avec des personnes de confession juive ayant vécu beaucoup de ruptures ; en narrative, elle a inventé la « carte du témoin extérieur » et la » carte du re-membering ».

[6] Psychologue d’origine biélorusse, Lev VYGOTSKI (1896-1934) est un contemporain de PIAGET dont il se distingue pourtant en affirmant que le langage dit « égocentrique » de l’enfant comporte un caractère social qui se transformera ensuite en langage dit « intérieur » chez l’adulte, avec un rôle important dans le développement de la pensée ; il a introduit l’idée que le développement intellectuel de l’enfant est une fonction des groupes humains plutôt qu’un processus individuel ; il a notamment écrit Pensée et langage (1933).

[7] BLANC-SAHNOUN, Pierre / DAMERON, Béatrice, Comprendre et pratiquer l’approche narrative, Paris, InterEditions-Dunod, 2009. Pour en savoir plus sur l’approche narrative, on puisera avec profit dans la bibliographie proposée en fin d’ouvrage.